« Pacte en faveur de la haie » : la France entérine sa désertification dans la joie et la bonne humeur

Petit résumé de cette actualité pour celles et ceux à qui cela aurait échappé : le gouvernement, par la voix du ministre de l’Agriculture Marc Fesneau et de sa collègue chargée de la Biodiversité, Sarah El Haïry, a présenté ce vendredi 29 septembre une feuille de route qui prévoit un gain net de 50 000 kilomètres de haies d’ici à 2030, pour passer de 750.000 km à 800.000 km, dans un contexte où l’on continue à arracher plus de haies chaque année qu’à en planter.

Le cabinet de Marc Fesneau remarque par ailleurs que, dans une « société très clivée », la haie a le mérite de « mettre chasseurs, associations de protection de l’environnement, collectivités, agriculteurs autour de la table » : « Tout le monde veut de la haie. »

Fort bien. Voilà une intention louable, et une action qui « va dans le bon sens ». D’ailleurs des ONG comme l’AFAC-Agroforesterie, le Fonds mondial pour la nature (WWF), France Nature Environnement (FNE) ou Humanité et Biodiversité) ont salué un pacte jugé ambitieux (tout en soulevant plusieurs « sources d’inquiétude » sur la qualité des haies qui seront créées). Tout va donc bien dans le meilleur des mondes. Sauf que…

Un aperçu de l’importance de l’arbre dans les écosystèmes

Sauf qu’en dehors du fait que cela permet au gouvernement de montrer (à moindre frais politiques comme l’avoue le cabinet du ministre) qu’il est actif sur le front de la « transition écologique », cette mesure n’aura aucun autre impact que de maintenir la situation écologique (et du même coup sociale, économique et même sanitaire) du pays dans laquelle elle se trouve aujourd’hui : la voie ouverte vers la désertification.

Nous naviguons ici en plein « syndrome de la référence changeante » : Plutôt que de prendre une période de référence qui précède le moment où l’on a pu percevoir concrètement les graves conséquences de la transformation des paysages sur les équilibres écologiques locaux et globaux (changements climatiques, dégradation des cycles de l’eau, appauvrissement des sols, extinction de masse des espèces…), le gouvernement nous propose comme seul et unique horizon pour 2030 d’ « arrêter la saignée », de créer « dès 2023 » un observatoire pour « connaître et caractériser les haies sur la France entière », et d’attribuer 110 millions d’euros supplémentaires pour la haie.

 Source : © Les planteurs volontaires (2015)

Autant vous dire que nous sommes très, très, très loin du compte. Faut-il rappeler que la France comptait, il y a seulement 70 ans, 1,5 million de km de haies ? Et que la seule politique du remembrement, menée entre 1960 et 1990, a causé la disparition de 750.000 km de haies entre 1960 et 1990, soit 50% du total d’après guerre ? Le comblement de 1.000.000 de mares, bassins et étangs, soient 30 à 40% des pièces d’eau du pays ? L’assèchement de 50% de la surface des zones humides du pays ?

Combien d’épisodes sécheresses, d’inondations faudra-t-il connaître ; jusqu’à quel niveau de pollution de nos rivières et de nos littoraux, d’affaiblissement de nos réserves souterraines d’eau douce, de disparition des oiseaux, des insectes, des mammifères… faudra-t-il aller pour que nous nous décidions à prendre des mesures qui ne soient pas là uniquement pour se faire plaisir et donner l’impression que nous faisons quelque-chose, mais qui soient créées avec l’intention d’avoir un impact significatif dans le but d’offrir des conditions d’habitabilité décentes pour la vie sur notre territoire ?

La pépinière des Alvéoles, dans la Drôme

Messieurs et mesdames du gouvernement et des ONGs, soyons un minimum sérieux quelques minutes, si vous le voulez bien. Le seul « pacte » qu’il soit décent de proposer au citoyen, aux agriculteurs et aux chasseurs, et dont nous pourrions collectivement être fiers, c’est celui qui consiste à s’organiser dès aujourd’hui pour planter des haies dans le but de reconstruire le tissu écologique qui a été détruit dans la seconde moitié du XXème siècle.

Concrètement, cela signifie :

  • Déterminer les espaces les plus pertinents pour implanter des infrastructures écologiques (baissières, noues, haies, bassins d’infiltration) à partir d’une lecture topographique sur l’ensemble du territoire.
  • Planter 750.000 km de haies supplémentaires (soient 14km de haies par commune).
  • Créer 1.000.000 de mares / étangs / bassins d’infiltration supplémentaires (soient 18 ouvrages par commune).
  • Convertir 15 millions d’hectares de terres agricoles supplémentaires aux pratiques agro-écologiques (soient 275 ha de terres par commune) : agriculture de conservation, agriculture biologique, agroforesterie…

Entre autres conséquences, cela veut dire également de :

  • Multiplier par 30 ou 40 la production d’arbres et de graines (installation de 30.000 nouveaux pépiniéristes).
  • Investir massivement dans la recherche sur la création de haies à partir de semis d’arbres et arbustes.
  • Aller plus loin que simplement planter en généralisant les démarches de qualité de type « label haies » pour garantir la pérennité des aménagements réalisés.

Il est temps de sortir de l’amnésie environnementale dans laquelle nous sommes plongés, d’apprendre des conséquences de notre inaction de ces dernières décennies, et de porter un programme réellement ambitieux. Notre pays regorge d’expert.e.s (pépiniéristes, paysagistes, ingénieurs, agriculteurs, conseillers agricoles…) qui sont prêt.e.s à relever les défis d’aujourd’hui, pour peu qu’on leur en donne l’opportunité et les moyens.

2 Comments

  1. Bonjour Samuel,
    Effectivement, il y a urgence !
    Je fais partie du conseil de développement de L’agglo de Brive-la-Gaillarde en tant que citoyen engagé (collège habitants), qui se compose de deux autres collèges, ( acteurs locaux et représentants des communes) .
    Et bien je peux dire de par mon expérience, que ça va être long ,difficile et douloureux.
    Les élus ne prennent pas la mesure des enjeux, beaucoup dans nos communes sont des agriculteurs, manquent de formation et sont plus ou moins manipulés par le président de L’agglo lui même, qui parle encore de croissance…….
    Bref, on a encore un long chemin à parcourir et pourtant la maison brûle et on regarde encore ailleurs.
    Merci pour ton travail de sensibilisation et continues d’éveiller les consciences, il n’est pas trop tard !
    Mais le changement, c’est maintenant !
    Cordialement
    Jean Noël GUIONIE

    1. Bonjour Jean-Noël,
      Merci d’avoir pris le temps de venir réagir ici… et merci pour tes encouragements !
      Oui il y a urgence, et les espaces de dialogues s’amenuisent à mesure que la confiance dans les institutions diminue. Une seule solution : des prises de positions (enfin) courageuses de la part de nos élus !
      Bravo et merci à toi pour ton engagement,
      Samuel

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