Et si on arrêtait (pas) de se raconter des histoires ?

Depuis 2016, et le moment où j’ai commencé à co-animer des stages de permaculture et d’agroforesterie auprès d’un public « non-professionnel », des participant.e.s me posent invariablement chaque année cette même question : « Comment est-ce que je peux me rendre utile, dans le contexte de crise écologique globale que nous connaissons, pour participer à résoudre les problèmes, sans avoir de solides compétences techniques sur le climat, l’eau, le sol, ou les plantes ? »

Ma réponse est invariablement la même : les problèmes que nous avons aujourd’hui ne sont pas avant tout des problèmes techniques qui nécessiteraient la mise au point de solutions techniques. Ou comme le dit si bien Aurélien Barrau dans ses interventions : nous traversons une crise qui n’est pas avant tout une crise énergétique, climatique, ou même écologique : nous traversons une crise qui est avant tout existentielle, ontologique. Cela signifie que les solutions résident avant tout dans notre capacité à évoluer en tant que civilisation, dans nos représentations, nos manières de penser, pour y intégrer la réalité des frontières planétaires et pour nous re-positionner en tant qu’espèce humaine au sein de la biosphère.

Et dans ce contexte, les solutions ne viendront pas avant tout des climatologues, agronomes, hydrologues, ou autres experts scientifiques (même s’ils peuvent aider en documentant, en informant et en alertant) : elles viendront des pères (et des mères) Castor : de toutes celles et ceux qui peuvent nous aider à faire un pas de côté, à sortir de nos prêts-à-penser, à bousculer nos idées reçues… Bref, de toutes celles et ceux qui savent raconter des histoires.

De l’importance cruciale des nouveaux récits

Pourtant, me direz-vous, nous passons trop de temps à nous en raconter, des histoires ! Il y en a encore beaucoup autour de nous qui s’en racontent tous les jours, quand il s’agit de la crise écologique : « ça ne peut pas être si grave », « on trouvera bien des solutions technologiques, il faut faire confiance au progrès », « tout ça, c’est la faute des gouvernements / des industriels / des chinois / des agriculteurs / des écologistes (rayer la mention inutile) », etc…

Oui, et c’est justement pour ça que nous avons besoin d’inventer des nouveaux récits. Pour ouvrir la fenêtre d’Overton, créer de nouveaux imaginaires, permettre à nos contemporains de « retomber sur leurs pattes ». Parce que les discours qui vont vers le « moins » (moins d’eau, moins de pétrole, moins de libertés…) sont beaucoup plus difficile à entendre que ceux qui vont vers le « plus » (plus de solidarité, plus de nourriture locale, plus de reconnaissance…).

Ce discours, sur l’importance des « nouveaux récits », vous l’avez peut-être déjà entendu, par exemple dans une interview de Cyril Dion, qui est l’une de personnes qui en parle régulièrement (et le met en pratique dans son activité de réalisateur de documentaires). Si vous le découvrez, ou que vous souhaitez l’approfondir, je vous conseille la lecture du livre « Et si… on libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ? » de Rob Hokins. Je vous glisse ici un extrait audio proposé par son éditeur, Actes Sud.

Il existe aussi une fresque des nouveaux récits (que je n’ai pas encore fait personnellement), qui s’attache à faire émerger un futur compatible avec les limites planétaires et désirables pour tous en mobilisant les capacités cognitives de l’homme pour imaginer de nouveaux récits.

Si vous connaissez d’autres initiatives qui vont dans ce sens, n’hésitez pas à les partager en commentaire !

Le jour où… je suis devenu conférencier

En ce qui me concerne, cette histoire de proposer des récits pour inspirer et ouvrir les imaginaires a pris une dimension encore plus grande dans ma vie aujourd’hui. Certes, j’attachais déjà beaucoup d’importance à « raconter des histoires » dans mon activité de formateur (j’avais bien repéré combien cette manière d’amener les choses démultiplie l’impact de mon discours sur les personnes qui viennent en formation), et j’avais déjà été « à bonne école », inspiré par des conteurs talentueux, comme Hervé Covès ou Marc-André Selosse… mais un petit événement allait me propulser dans une nouvelle dimension.

A l’automne 2022, quelques semaines à peine après la terrible sécheresse qui s’est abattue sur la France, j’ai reçu l’appel d’un couple d’amis et anciens stagiaires, Baptiste et Sophie, qui ont ouvert La Clairière, une pâtisserie et salon de thé à Chomelix, en Haute-Loire. Ils me demandent si je serais prêt à donner une conférence sur le thème de l’eau pour le festival « Les Mauvaises Herbes » qu’ils co-organisent avec leurs collègues du réseau paysan Nature & Progrès. Sur le moment je leur réponds que je ne suis pas conférencier, mais ils insistent (un peu), et me voilà en train de préparer ma 1ère conférence sur l’hydrologie régénérative.

C’était il y a 18 mois, et cette conférence, intitulée « Et si on pouvait cultiver l’eau ? », est maintenant bien rodée ! Je l’ai en effet proposée dans une vingtaine de lieux, dans des contextes très différents : événements grands publics ou réservés à des professionnels, auprès d’entreprises, de collectivités ou d’associations… J’ai pu vérifier à quel point le fait de ponctuer mon intervention de nombreuses histoires sur les stratégies fabuleuses développées par le vivant sur notre planète pour « cultiver l’eau » est un levier formidable pour inspirer, donner de l’espoir et du courage pour passer à l’action.

Les 24 points sur cette carte correspondent aux lieux dans lesquels j’ai donné
ma conférence « Et si on pouvait cultiver l’eau ? » entre octobre 2022 et février 2023.

Ces débuts en tant que conférencier m’ont énormément appris. Sur moi d’abord : j’ai découvert (avec surprise) que malgré le côté très ponctuel (le conférencier rencontre son public pendant un moment très bref !), je prends beaucoup de plaisir à raconter des histoires (probablement autant, sinon plus, que les personnes présentes à les entendre !). Et sur l’impact de ces conférences sur les personnes ensuite : je ne compte plus les témoignages (sur le moment, ou par téléphone ou par e-mail, parfois plusieurs mois après) de personnes qui ont été touchées. Certains projets d’hydrologie régénérative qui s’initient sur des territoires aujourd’hui ont émergé à la suite de l’une ou l’autre de ces conférences.

Bref ! Je suis plus que jamais convaincu par l’importance de se raconter des histoires. Alors si vous vous lamentez de ne pas être un.e expert.e sur le climat, l’eau, le sol ou les arbres, que vous avez l’âme d’un père ou d’une mère Castor et que vous avez envie de contribuer à cette bascule ontologique dont nous avons grand besoin pour ré-apprendre à habiter la Terre, n’attendez plus : c’est le moment de raconter des histoires. De mon côté, l’agenda des prochaines semaines est bien rempli, avec de nombreuses conférences à venir, notamment dans le cadre de la journée mondiale de l’eau (du 20 au 24 mars), et d’un cycle de conférences et visites de lieux inspirants en Belgique (du 8 au 12 avril). J’animerai ensuite une formation sur l’hydrologie régénérative près de Nantes. Toutes les infos sont publiées dans la rubrique agenda.

PS : pour la génération y, désolé si je vous ai mis la petite musique du générique des histoires du Père Castor dans la tête 🙂

Leave a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *