Et si on arrêtait (pas) de se raconter des histoires ?

Depuis 2016, et le moment où j’ai commencé à co-animer des stages de permaculture et d’agroforesterie auprès d’un public « non-professionnel », des participant.e.s me posent invariablement chaque année cette même question : « Comment est-ce que je peux me rendre utile, dans le contexte de crise écologique globale que nous connaissons, pour participer à résoudre les problèmes, sans avoir de solides compétences techniques sur le climat, l’eau, le sol, ou les plantes ? »

Ma réponse est invariablement la même : les problèmes que nous avons aujourd’hui ne sont pas avant tout des problèmes techniques qui nécessiteraient la mise au point de solutions techniques. Ou comme le dit si bien Aurélien Barrau dans ses interventions : nous traversons une crise qui n’est pas avant tout une crise énergétique, climatique, ou même écologique : nous traversons une crise qui est avant tout existentielle, ontologique. Cela signifie que les solutions résident avant tout dans notre capacité à évoluer en tant que civilisation, dans nos représentations, nos manières de penser, pour y intégrer la réalité des frontières planétaires et pour nous re-positionner en tant qu’espèce humaine au sein de la biosphère.

Et dans ce contexte, les solutions ne viendront pas avant tout des climatologues, agronomes, hydrologues, ou autres experts scientifiques (même s’ils peuvent aider en documentant, en informant et en alertant) : elles viendront des pères (et des mères) Castor : de toutes celles et ceux qui peuvent nous aider à faire un pas de côté, à sortir de nos prêts-à-penser, à bousculer nos idées reçues… Bref, de toutes celles et ceux qui savent raconter des histoires.

De l’importance cruciale des nouveaux récits

Pourtant, me direz-vous, nous passons trop de temps à nous en raconter, des histoires ! Il y en a encore beaucoup autour de nous qui s’en racontent tous les jours, quand il s’agit de la crise écologique : « ça ne peut pas être si grave », « on trouvera bien des solutions technologiques, il faut faire confiance au progrès », « tout ça, c’est la faute des gouvernements / des industriels / des chinois / des agriculteurs / des écologistes (rayer la mention inutile) », etc…

Oui, et c’est justement pour ça que nous avons besoin d’inventer des nouveaux récits. Pour ouvrir la fenêtre d’Overton, créer de nouveaux imaginaires, permettre à nos contemporains de « retomber sur leurs pattes ». Parce que les discours qui vont vers le « moins » (moins d’eau, moins de pétrole, moins de libertés…) sont beaucoup plus difficile à entendre que ceux qui vont vers le « plus » (plus de solidarité, plus de nourriture locale, plus de reconnaissance…).

Ce discours, sur l’importance des « nouveaux récits », vous l’avez peut-être déjà entendu, par exemple dans une interview de Cyril Dion, qui est l’une de personnes qui en parle régulièrement (et le met en pratique dans son activité de réalisateur de documentaires). Si vous le découvrez, ou que vous souhaitez l’approfondir, je vous conseille la lecture du livre « Et si… on libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ? » de Rob Hokins. Je vous glisse ici un extrait audio proposé par son éditeur, Actes Sud.

Il existe aussi une fresque des nouveaux récits (que je n’ai pas encore fait personnellement), qui s’attache à faire émerger un futur compatible avec les limites planétaires et désirables pour tous en mobilisant les capacités cognitives de l’homme pour imaginer de nouveaux récits.

Si vous connaissez d’autres initiatives qui vont dans ce sens, n’hésitez pas à les partager en commentaire !

Le jour où… je suis devenu conférencier

En ce qui me concerne, cette histoire de proposer des récits pour inspirer et ouvrir les imaginaires a pris une dimension encore plus grande dans ma vie aujourd’hui. Certes, j’attachais déjà beaucoup d’importance à « raconter des histoires » dans mon activité de formateur (j’avais bien repéré combien cette manière d’amener les choses démultiplie l’impact de mon discours sur les personnes qui viennent en formation), et j’avais déjà été « à bonne école », inspiré par des conteurs talentueux, comme Hervé Covès ou Marc-André Selosse… mais un petit événement allait me propulser dans une nouvelle dimension.

A l’automne 2022, quelques semaines à peine après la terrible sécheresse qui s’est abattue sur la France, j’ai reçu l’appel d’un couple d’amis et anciens stagiaires, Baptiste et Sophie, qui ont ouvert La Clairière, une pâtisserie et salon de thé à Chomelix, en Haute-Loire. Ils me demandent si je serais prêt à donner une conférence sur le thème de l’eau pour le festival « Les Mauvaises Herbes » qu’ils co-organisent avec leurs collègues du réseau paysan Nature & Progrès. Sur le moment je leur réponds que je ne suis pas conférencier, mais ils insistent (un peu), et me voilà en train de préparer ma 1ère conférence sur l’hydrologie régénérative.

C’était il y a 18 mois, et cette conférence, intitulée « Et si on pouvait cultiver l’eau ? », est maintenant bien rodée ! Je l’ai en effet proposée dans une vingtaine de lieux, dans des contextes très différents : événements grands publics ou réservés à des professionnels, auprès d’entreprises, de collectivités ou d’associations… J’ai pu vérifier à quel point le fait de ponctuer mon intervention de nombreuses histoires sur les stratégies fabuleuses développées par le vivant sur notre planète pour « cultiver l’eau » est un levier formidable pour inspirer, donner de l’espoir et du courage pour passer à l’action.

Les 24 points sur cette carte correspondent aux lieux dans lesquels j’ai donné
ma conférence « Et si on pouvait cultiver l’eau ? » entre octobre 2022 et février 2023.

Ces débuts en tant que conférencier m’ont énormément appris. Sur moi d’abord : j’ai découvert (avec surprise) que malgré le côté très ponctuel (le conférencier rencontre son public pendant un moment très bref !), je prends beaucoup de plaisir à raconter des histoires (probablement autant, sinon plus, que les personnes présentes à les entendre !). Et sur l’impact de ces conférences sur les personnes ensuite : je ne compte plus les témoignages (sur le moment, ou par téléphone ou par e-mail, parfois plusieurs mois après) de personnes qui ont été touchées. Certains projets d’hydrologie régénérative qui s’initient sur des territoires aujourd’hui ont émergé à la suite de l’une ou l’autre de ces conférences.

Bref ! Je suis plus que jamais convaincu par l’importance de se raconter des histoires. Alors si vous vous lamentez de ne pas être un.e expert.e sur le climat, l’eau, le sol ou les arbres, que vous avez l’âme d’un père ou d’une mère Castor et que vous avez envie de contribuer à cette bascule ontologique dont nous avons grand besoin pour ré-apprendre à habiter la Terre, n’attendez plus : c’est le moment de raconter des histoires. De mon côté, l’agenda des prochaines semaines est bien rempli, avec de nombreuses conférences à venir, notamment dans le cadre de la journée mondiale de l’eau (du 20 au 24 mars), et d’un cycle de conférences et visites de lieux inspirants en Belgique (du 8 au 12 avril). J’animerai ensuite une formation sur l’hydrologie régénérative près de Nantes. Toutes les infos sont publiées dans la rubrique agenda.

PS : pour la génération y, désolé si je vous ai mis la petite musique du générique des histoires du Père Castor dans la tête 🙂

« Pacte en faveur de la haie » : la France entérine sa désertification dans la joie et la bonne humeur

Petit résumé de cette actualité pour celles et ceux à qui cela aurait échappé : le gouvernement, par la voix du ministre de l’Agriculture Marc Fesneau et de sa collègue chargée de la Biodiversité, Sarah El Haïry, a présenté ce vendredi 29 septembre une feuille de route qui prévoit un gain net de 50 000 kilomètres de haies d’ici à 2030, pour passer de 750.000 km à 800.000 km, dans un contexte où l’on continue à arracher plus de haies chaque année qu’à en planter.

Le cabinet de Marc Fesneau remarque par ailleurs que, dans une « société très clivée », la haie a le mérite de « mettre chasseurs, associations de protection de l’environnement, collectivités, agriculteurs autour de la table » : « Tout le monde veut de la haie. »

Fort bien. Voilà une intention louable, et une action qui « va dans le bon sens ». D’ailleurs des ONG comme l’AFAC-Agroforesterie, le Fonds mondial pour la nature (WWF), France Nature Environnement (FNE) ou Humanité et Biodiversité) ont salué un pacte jugé ambitieux (tout en soulevant plusieurs « sources d’inquiétude » sur la qualité des haies qui seront créées). Tout va donc bien dans le meilleur des mondes. Sauf que…

Un aperçu de l’importance de l’arbre dans les écosystèmes

Sauf qu’en dehors du fait que cela permet au gouvernement de montrer (à moindre frais politiques comme l’avoue le cabinet du ministre) qu’il est actif sur le front de la « transition écologique », cette mesure n’aura aucun autre impact que de maintenir la situation écologique (et du même coup sociale, économique et même sanitaire) du pays dans laquelle elle se trouve aujourd’hui : la voie ouverte vers la désertification.

Nous naviguons ici en plein « syndrome de la référence changeante » : Plutôt que de prendre une période de référence qui précède le moment où l’on a pu percevoir concrètement les graves conséquences de la transformation des paysages sur les équilibres écologiques locaux et globaux (changements climatiques, dégradation des cycles de l’eau, appauvrissement des sols, extinction de masse des espèces…), le gouvernement nous propose comme seul et unique horizon pour 2030 d’ « arrêter la saignée », de créer « dès 2023 » un observatoire pour « connaître et caractériser les haies sur la France entière », et d’attribuer 110 millions d’euros supplémentaires pour la haie.

 Source : © Les planteurs volontaires (2015)

Autant vous dire que nous sommes très, très, très loin du compte. Faut-il rappeler que la France comptait, il y a seulement 70 ans, 1,5 million de km de haies ? Et que la seule politique du remembrement, menée entre 1960 et 1990, a causé la disparition de 750.000 km de haies entre 1960 et 1990, soit 50% du total d’après guerre ? Le comblement de 1.000.000 de mares, bassins et étangs, soient 30 à 40% des pièces d’eau du pays ? L’assèchement de 50% de la surface des zones humides du pays ?

Combien d’épisodes sécheresses, d’inondations faudra-t-il connaître ; jusqu’à quel niveau de pollution de nos rivières et de nos littoraux, d’affaiblissement de nos réserves souterraines d’eau douce, de disparition des oiseaux, des insectes, des mammifères… faudra-t-il aller pour que nous nous décidions à prendre des mesures qui ne soient pas là uniquement pour se faire plaisir et donner l’impression que nous faisons quelque-chose, mais qui soient créées avec l’intention d’avoir un impact significatif dans le but d’offrir des conditions d’habitabilité décentes pour la vie sur notre territoire ?

La pépinière des Alvéoles, dans la Drôme

Messieurs et mesdames du gouvernement et des ONGs, soyons un minimum sérieux quelques minutes, si vous le voulez bien. Le seul « pacte » qu’il soit décent de proposer au citoyen, aux agriculteurs et aux chasseurs, et dont nous pourrions collectivement être fiers, c’est celui qui consiste à s’organiser dès aujourd’hui pour planter des haies dans le but de reconstruire le tissu écologique qui a été détruit dans la seconde moitié du XXème siècle.

Concrètement, cela signifie :

  • Déterminer les espaces les plus pertinents pour implanter des infrastructures écologiques (baissières, noues, haies, bassins d’infiltration) à partir d’une lecture topographique sur l’ensemble du territoire.
  • Planter 750.000 km de haies supplémentaires (soient 14km de haies par commune).
  • Créer 1.000.000 de mares / étangs / bassins d’infiltration supplémentaires (soient 18 ouvrages par commune).
  • Convertir 15 millions d’hectares de terres agricoles supplémentaires aux pratiques agro-écologiques (soient 275 ha de terres par commune) : agriculture de conservation, agriculture biologique, agroforesterie…

Entre autres conséquences, cela veut dire également de :

  • Multiplier par 30 ou 40 la production d’arbres et de graines (installation de 30.000 nouveaux pépiniéristes).
  • Investir massivement dans la recherche sur la création de haies à partir de semis d’arbres et arbustes.
  • Aller plus loin que simplement planter en généralisant les démarches de qualité de type « label haies » pour garantir la pérennité des aménagements réalisés.

Il est temps de sortir de l’amnésie environnementale dans laquelle nous sommes plongés, d’apprendre des conséquences de notre inaction de ces dernières décennies, et de porter un programme réellement ambitieux. Notre pays regorge d’expert.e.s (pépiniéristes, paysagistes, ingénieurs, agriculteurs, conseillers agricoles…) qui sont prêt.e.s à relever les défis d’aujourd’hui, pour peu qu’on leur en donne l’opportunité et les moyens.

Non mais « à l’eau » quoi ! – Pourquoi il faut parler des liens qui unissent la gestion de nos paysages et la crise de l’eau

Même si j’ai été sensibilisé très tôt dans mon parcours à l’importance de la gestion de la ressource en eau, ma vision en a pourtant été longtemps tronquée, réduite à la question des « économies » d’eau, soit par la réduction des besoins, soit par le recyclage des eaux usées. En bref : faire avec ce qu’on a, et ne pas gaspiller. Ce n’est donc quassez récemment, vers 2014-2015, alors que je me formais à la permaculture, que j’ai été pour la première fois invité (par Franck Chevalier) à observer cette thématique sous l’angle de la « régénération ».

Pour comprendre la notion (qui peut sembler de prime abord un peu barbare) d’hydrologie régénérative, il faut prendre le temps de poser ce constat : les paysages (1), nos paysages, influencent le climat, et en particulier les régimes de précipitations. Cela peut paraître exagéré de dire ça, tant nous avons appris que les nuages se forment à partir de l’évaporation de l’eau au dessus des océans. En réalité 66% de l’eau qui précipite sur les continents vient… des continents, et particulièrement des sols, des sous-sols et de la végétation. C’est ce qu’on appelle l’eau verte, par opposition à l’eau bleue : celle qui vient des océans, des lacs et des rivières, et qui ne représente que 33%.

La quantité d’eau que les continents renvoient dans l’atmosphère est donc variable selon la façon dont les paysages de ces continents sont façonnés. Le vivant « cultive » ainsi l’eau (et modifie plus généralement le climat) depuis 3,5 milliards d’années. La morphologie (naturelle ou non) du terrain impacte nécessairement la capacité des paysages à retenir l’eau, mais bien d’autres critères entrent en ligne de compte : la nature des sols, s’ils sont couverts ou non, l’importance de la végétation, etc… Regarder la question de la crise de l’eau sous le seul prisme des émissions de CO2, c’est donc omettre une donnée cruciale et sur laquelle nous avons un impact assez immédiat : l’aménagement du territoire.

La 6ème limite planétaire a été franchie

Lorsqu’en 2016 j’ai commencé à expérimenter les approches d’hydrologie régénérative sur le terrain de l’Oasis de Serendip avec mon collègue ChanSac (PermaLab), le sujet était complètement méconnu. Peu de scientifiques étaient interrogés sur ces sujets, et nous n’étions encore qu’une poignée en France à tenter des expériences en lien avec ces constats. Le déclencheur a été la publication d’une étude fin avril 2022 par Le Stockholm Resilience Centre, qui a établi qu’une 6ème limite planétaire avait été franchie, celle de l’eau douce (et qui a proposé de préciser qu’il s’agissait de celle de l’eau verte) provoquant notamment une multiplication des épisodes extrêmes, aussi bien par le manque (sécheresses) que par l’excès (inondations).

Si la nouvelle avait bien traîné ici et là sur le mur des réseaux sociaux que je fréquente avec encore un peu d’assiduité, j’avoue n’y avoir sur le moment prêté que peu d’attention, noyé, comme beaucoup d’entre nous, dans la quantité d’informations que nous délivrent les médias chaque jour. C’est seulement quelques jours plus tard, le 6 mai exactement, qu’un petit événement (pour moi) se produisit. Alors que je revenais d’être allé conduire mes enfants à l’école, mon oreille est restée (presque littéralement) scotchée à l’autoradio, en entendant cette interview d’Emma Haziza :

Emma Haziza au grand entretien du 7-9 de France Inter le 6 mai 2022

Quel bonheur et quel soulagement d’entendre ce discours sur la 1ère radio française à une heure de grande écoute ! La suite de l’année n’a fait que confirmer l’émergence du sujet, les conditions climatiques de l’été en renforçant (hélas) le besoin, et les conflits opposant pro- et anti-bassines venant s’inviter dans les JT, ce qui a d’ailleurs eu au passage comme effet d’enfermer le débat et de le noyer dans des considérations techniques et des enfumages politiques. Les bassines sont l’arbre qui cache la forêt des problématiques de gestion de l’eau auxquelles nous devons faire face : réorganiser l’ensemble de nos modes de collecte et de gestion des eaux pluviales, aussi bien dans les villes que dans les campagnes avec un mot d’ordre qui tient en 4 verbes d’action : Ralentir, Répartir, Infiltrer et Stocker l’eau dans les paysages.

Car ce que nous indiquent les spécialistes qui étudient les cycles de l’eau verte, c’est que ce sont les cycles d’eau verte qui sont justement responsables d’une répartition plus homogène des précipitations continentales dans le temps et dans l’espace. Lorsqu’une molécule d’eau arrive depuis l’océan et précipite pour la première fois sur un continent, elle peut, en temps normal, être embarquée consécutivement jusqu’à 5 ou 6 fois dans des cycles d’eau verte. Ces cycles, perturbés par les changements climatiques mais aussi par des aménagements qui limitent la capacité naturelle de nos paysages à retenir, répartir, infiltrer et stocker l’eau (quand ils ne sont pas totalement effectués pour renvoyer directement et rapidement vers les rivières et la mer), ne jouent désormais plus leur rôle.

Faire connaître les liens entre le paysage et le cycle de l’eau, redonner du « pouvoir d’agir » aux citoyens et aux élus des territoires

On trouve encore, ici et là, des personnes (et même parfois des responsables politiques) pour assurer que « la situation n’est pas si catastrophique, on a déjà connu ça en (année particulièrement sèche dans la région de la personne) », « le BRGM a relevé que les nappes à (localité) s’étaient complètement remplies avec les pluies de cet hiver », ou encore « tout ça est surtout une opportunité pour les dirigeants de (nom d’un parti politique) d’attiser les peurs et de diviser la population ». Les scientifiques eux ne sont pas optimistes. Du tout. Et pas simplement à l’échelle nationale : les chercheurs estiment que l’Europe perd en moyenne près de 84 gigatonnes d’eau par an depuis le début du 21e siècle.

C’est ainsi que lorsque les médias ont commencé à s’emparer (un peu) de cette question des liens entre cycle de l’eau et aménagement du paysage au printemps 2022, cela faisait déjà plusieurs mois qu’avec mon collègue Simon Ricard (PermaLab), nous discutions de la manière de faire connaître ces sujets auprès du grand public. Depuis, tout s’est accéléré : nous avons initié avec Charlène Descollonges une rencontre qui s’est tenue à Annecy le 20 octobre dernier et qui a réuni 60 personnes.

Au cours de cette journée nous avons jeté les bases de l’association Pour Une Hydrologie Régénérative. L’intention de cette association est de diffuser la vision, les inspirations, le connaissances et les moyens d’une régénération massive du cycle de l’eau, comme essentielle et structurante pour des territoires et des nations résilientes face à nombre de problématiques liées à l’eau ainsi qu’aux évolutions climatiques et leurs conséquences sur les sociétés et les écosystèmes.

Dans la foulée de la création de l’association, j’ai donné de mon côté plusieurs conférences sur le sujet « Et si on pouvait cultiver l’eau ? » auprès de citoyens, d’agriculteurs, d’élus et d’agents territoriaux. Une soirée d’information, organisée à l’initiative du Syndicat Intercommunal Eau Potable Valloire Galaure et de la Communauté de Communes Portes de DrômArdèche a réuni 70 agriculteurs, dont plus de la moitié s’est engagée dans la foulée pour 5 ans dans un programme de transformation de leur parcellaire en suivant les principes de l’HR. Plusieurs nouvelles dates sont déjà programmées pour ce début d’année : je serai à Fruges (62) le 11/02, à Eurre (26) le 19/02, et à Besançon (25) le 23/03. Si vous souhaitez en organiser une près de chez vous, n’hésitez pas à me contacter.

Ces conférences ont pour objectif d’une part de sensibiliser le plus grand nombre à l’importance de changer notre regard sur la gestion de l’eau, et d’autre part de faire prendre conscience de notre responsabilité et de notre capacité d’action à l’échelle individuelle et collective : nous ne pouvons pas nous contenter de gérer une ressource qui nous parvient de façon de moins en moins bien répartie, générant alternativement inondations et sécheresses. Nous devons maintenant repenser nos paysages dans la perspective des bénéfices qu’ils peuvent nous prodiguer si nous en prenons le soin : régénérer durablement les cycles de l’eau douce.

S.B.

(1) Voir aussi les deux articles que j’avais consacré à la thématique de nos imaginaires et des paysages en 2021 : 1ère partie / 2ème partie.

Déserter, or not déserter ?

J’ai été touché, comme certain.e.es d’entre vous, par le discours publié le 11 mai dernier par 8 étudiant.e.s d’AgroParisTech à l’occasion de leur remise de diplôme. D’abord par l’effet miroir que cela a créé pour moi (j’ai moi-même été diplômé d’une école d’ingénieur en agriculture il y a 14 ans de cela). Je me suis reconnu bien sûr dans leur discours – je pensais plus ou moins la même chose à l’époque que ce qu’ils ont partagé – mais j’ai surtout été frappé, comme beaucoup, par la façon dont ce discours a été reçu, à la fois par l’assemblée présente ce jour-là, et aussi par les médias.

Appel à déserter – Remise des diplômes AgroParisTech 2022

En lisant les commentaires qui ont suivi la diffusion de la vidéo, et notamment la réponse du directeur d’AgroParisTech, j’ai remarqué qu’il leur a été surtout reproché la dimension de rupture avec la dynamique de l’institution (qu’elle soit scolaire, mais aussi économique et même politique). À aucun moment cet appel à « déserter », n’a été perçu par ces commentateurs (l’apostrophe de Laurent Buisson est, à ce titre, assez éloquente : « Ne soyez pas fatalistes ! ») pour ce qu’elle représente dans mon expérience de formateur en permaculture : une étape d’un deuil.

Déserter nos croyances et nos rêves hérités des 30 glorieuses

J’ai commencé à organiser des stages de permaculture en 2016, avec l’ami et collègue Chansac de PermaLab. Dès les premières semaines de stages, il m’est apparu que ces formations avaient une toute autre portée que simplement parler de poireaux et de carottes (!). Les personnes qui viennent dans ces formations sont traversées par des réflexions intenses, s’inquiètent (à juste titre) pour leur avenir et celui de leurs enfants. Elles traversent Nous traversons une période de deuils multiples : le deuil de la stabilité politique, celui de la prospérité économique, du confort matériel, de l’insouciance écologique, … autant de piliers sur lesquels reposaient notre culture d’enfants de familles de classes moyennes/supérieures de pays d’Europe occidentale ayant connu les 30 glorieuses.

L’écart grandissant entre les croyances et les rêves dont nous avons hérité et la réalité du monde qui se déploie de plus en plus crûment devant nos yeux provoquent des formes de dissonances cognitives variées, et face aux souffrances qu’elles engendrent, rendons-nous à l’évidence : nous avons BESOIN de déserter. Et nous avons besoin de LIEUX ADAPTÉS pour le faire.

Entendons-nous bien : pour moi il ne s’agit pas en réalité d’abord de déserter Bayer, Total ou le Crédit Agricole : ce rejet (compréhensible) des « grands méchants » n’est que la partie visible de l’iceberg (qui est d’ailleurs en train de couler le navire de l’humanité, entraînant au passage la chute d’un grand nombre d’autres êtres vivants). Non, il s’agit de déserter les paradigmes, les visions du monde, les systèmes de croyances qui CONDUISENT À CONCEVOIR des entreprises comme Bayer, Total ou le Crédit Agricole, et qui CONDUISENT À Y ACCEPTER des missions professionnelles où l’on participe à la destruction de notre propre planète, ou encore pire, à accepter de s’en émouvoir un peu pour pouvoir mieux continuer à la détruire cyniquement avec des bulldozers qui roulent au gaz naturel.

Comme les fourmis alors qu’on a marché sur la fourmilière

Or quels meilleurs endroits pour déserter ces façons de penser qu’une ferme collective dans les Pyrénées, une ZAD ou une ONG ? Quelle meilleure option pour faire ce deuil que d’échapper, ne serait-ce qu’un temps, aux injonctions à « rester dans l’action » dont le directeur d’AgroParisTech se fait le héraut, se positionnant même (!) en leader combatif de l’écologie : « Quoi qu’il en soit, pour les suivants, il faut qu’on essaie de davantage convaincre. (…) On n’a pas le choix. Car je ne vois pas en quoi se retirer sur l’Aventin va améliorer la situation. Il faut rester dans l’action. »

Alors on pourrait facilement s’en tirer ici avec un « Ok boomer » pour sanctionner rapidement le côté « donneur de leçons un tout petit peu mal placé pour parler », mais il me semblait que le sujet valait la peine qu’on s’y attarde un peu : Quand tenir ? Quand lâcher ? Pour répondre à quel(s) besoin(s) ? Soigner le sentiment de culpabilité de celles et ceux qui réalisent aujourd’hui avec effroi qu’ils ont été dans l’erreur et n’ont pas su/voulu écouter celles et ceux qui s’élevaient contre les orientations prises au cours de ces 30 dernières années ?

Quand tenir ? Quand lâcher ?

À mesure que notre société sort du déni et se laisse emporter par la sidération, puis par la colère, le sentiment d’urgence continue de grandir et nous nous activons d’une manière totalement désordonnée, comme les fourmis alors qu’on a marché sur la fourmilière. Les uns nous enjoignent à presser le pas, accélérer le mouvement « avant qu’il ne soit trop tard ». Ok pour avancer, mais pour aller où ? Les autres ne jurent au contraire que par la sobriété : il faut ralentir, réduire, limiter, atténuer… mais même en réduisant l’allure, nous savons que nous allons dans le mur.

Oui Mr Buisson, le doute s’est installé. Et inviter (avec plus ou moins de morgue ou de dépit) les nouveaux ingénieurs agronomes de notre pays à s’agiter pour trouver ici ou là des moyens de sortir de la crise écologique dans laquelle ils ont été plongés ne suffit plus à masquer le manque d’imagination et de courage de celles et ceux qui refusent aujourd’hui de déserter les logiques mortifères qui sont au centre de notre logiciel, et ne nous proposent comme mise en action rien de mieux que la course de la reine rouge. Pourtant, d’autres manières de concevoir l’avenir de nos sociétés existent déjà.

Changer d’air – Déserter les logiques mortifères

J’ai eu la chance de grandir à la campagne, au contact de la nature, et même si je ne peux pas dire que j’ai développé au cours de mon enfance et de mon adolescence une grande sensibilité dans ma relation avec le vivant, je pense que ça a tout de même participé (avec un environnement familial propice et soutenant) à me rendre curieux du monde dans lequel je vivais. Ma formation d’ingénieur m’a-t-elle encouragée dans ce sens ? Pas du tout. J’ai appris à mesurer, classer, organiser, calculer, planifier, anticiper, expliquer. Au cours de mes 5 années d’études supérieures, la formation qui m’a été proposée ne donnait qu’une place tout à fait marginale au développement de ma sensibilité, à l’observation fine des phénomènes naturels, à ma capacité à donner de la valeur aux êtres et aux choses qui m’entouraient ou à respecter la temporalité naturelle des choses.

Que peut faire (de bien) un ingénieur, bardé de plein de connaissances et de compétences pour « inventer des solutions », mais qui n’a développé aucun rapport sensible au vivant ? Aujourd’hui, des philosophes comme Bruno Latour, Baptiste Morizot ou Vinciane Despret, des scientifiques comme Arthur Keller ou Aurélien Barrau nous alertent sur le besoin de développer de nouveaux outils pour penser notre rapport au monde, et pour repenser notre place et notre rôle en tant qu’êtres humains sur la planète, avec la prise en compte de lois physiques, chimiques et biologiques qui prévaudront toujours sur notre souci de la santé de telle ou telle entreprise, ou de la sauvegarde des intérêts de telle ou telle classe sociale.

Ma rencontre avec la permaculture, un an après la fin de mes études, a été le déclencheur. J’ai découvert des outils pour m’inscrire harmonieusement dans un éco-système, en prendre soin, le comprendre, découvrir comment je peux me mettre à son service autant qu’il se met au mien. Devenir « un parmi », participer à la grande toile du vivant. Sortir une bonne fois pour toutes des logiques de possession, d’asservissement et de domination. En expérimentant ces principes sur un terrain 11,5ha à l’Oasis de Serendip, j’ai découvert que je peux concevoir des paysages qui récoltent la pluie, accueillent la biodiversité, génèrent de la fertilité, produisent de l’abondance.

Moi qui pensais que nous étions condamnés à concevoir des systèmes en vue de nous adapter aux changements climatiques, j’ai découvert le potentiel incroyable des systèmes régénératifs : car finalement si nous avons été capables d’influencer le climat dans un sens depuis la révolution industrielle, c’est que nous sommes aussi capables de l’influencer dans un autre sens, en apprenant à mieux comprendre et en mimant ce que font végétaux, bactéries et champignons depuis des centaines de millions d’années en modifiant substantiellement le climat de la Terre. Et je me suis demandé : pourquoi on ne m’a pas appris tout çà à l’école d’ingénieur ? Et même à l’école tout court ?

S’autoriser l’automne et l’hiver pour permettre au printemps de revenir

Puisque j’ai pris le temps dans ce (long) article de développer le thème de l’action, j’avais envie, en guise de clôture, de témoigner du fait que développer un rapport sensible au vivant et apprendre à observer plus finement le monde qui m’entoure m’avait permis ces dernières années de modifier substantiellement mon propre rapport à l’action.

Nous le savons, mais nous faisons tout pour l’oublier (jusqu’à décider de changer d’heure deux fois par an pour essayer d’en limiter la sensation) : tout, autour de nous, procède par cycles. Déserter, c’est donc s’autoriser à vivre l’automne, cette période où l’on ralentit, où l’on se délecte de récolter les fruits de ce qu’on a semé, mais où l’on est aussi attentifs à ce que la nature a prodigué, que la vie a mis sur notre chemin et que nous n’attendions pas. L’automne, c’est cette période où l’on voit les couches de notre vécu se déposer, et avec lenteur se décomposer, sans que l’on puisse savoir – à ce stade – ce qui va pouvoir y germer.

S’autoriser l’automne

Déserter, c’est enfin s’autoriser à vivre l’hiver, ce moment où l’on s’autorise à ne plus faire. Où l’on prend plaisir à être. A peine 2 ans après le 1er confinement lié à la crise sanitaire du COVID-19, qui se souvient qu’au milieu de l’angoisse de perdre l’un de nos proches, beaucoup d’entre nous se réjouissaient de sentir la planète « respirer » ? De voir les animaux, les paysages profiter de cette absence soudaine (et involontaire) des humains ? Cet « hiver » forcé à peine terminé, nous voilà repartis – comme si rien ne s’était passé – dans un fonctionnement de société « machine à laver », ivre de sa propre vitesse, où fleurissent plus facilement le burn-out et la dépression que la poésie et la méditation.

Alors faudrait-il systématiquement, au sortir d’une école d’ingénieur, se jeter précipitamment dans le quotidien d’une entreprise, d’un labo de recherche ou même d’une ONG ? Est-il impensable de se dire qu’il faut peut-être du temps pour digérer ce qu’on a appris, du temps pour en désapprendre une partie, pour mettre en pratique ce qui nous parle le plus, pour le mâcher, expérimenter. Et puis laisser venir les fruits. Accepter de ne pas re-semer tout de suite. Résister à l’injonction à « rester en action ». Et laisser passer l’hiver.

L’hiver passé, qui sait ce que le printemps apportera ? « Tout se jardine », nous dit Bill Mollison, l’un des fondateurs de la permaculture. Pour moi cela veut dire qu’on peut planter et semer des graines partout, y compris dans des grandes entreprises du CAC40 ou au plus haut sommet de l’Etat. Mais pour cela il faut savoir lâcher prise, car il se pourrait que cela produise moins de fruits que de cultiver son jardin – au moins encore pour quelques temps.

Belles récoltes à tous les 8, au plaisir d’échanger à l’occasion.

Bonne coupure estivale à l’équipe pédagogique de l’AgroParisTech. On a besoin de vous pour apprendre aux jeunes à « déserter ».

S.B.

2022 : une année pour porter des projets qui nous rendent heureux ?

S’il y a bien un point commun entre une grande partie des personnes qui s’intéressent à la permaculture, c’est le fait d’aspirer à des changements profonds, et d’avoir envie d’être actrices de ces changements. De fait, l’immense majorité d’entre nous se définit comme étant « en transition » – tantôt personnelle, tantôt professionnelle, souvent même les deux. 

Pour nous aussi, individuellement et collectivement, cette thématique de la transition est cruciale dans nos parcours. Alors on a décidé de placer ce début d’année, souvent synonyme de bilan, de moment où l’on fait le point et où on l’on prend parfois des engagements avec soi-même, sous le signe du « design de vie », en organisant une conférence interactive sur ce thème jeudi prochain sur le Campus (gratuite, ouverte à tou.te.s sur inscription) , et en proposant une offre spéciale sur notre cours en ligne « Piloter sa vie et ses projets avec la permaculture humaine » : 100€ de remise (valable jusqu’au 23 janvier à minuit) et un cycle d’accompagnement sur 6 semaines.

Mais qu’est-ce qu’on entend par « design de vie » ? Comme c’est une notion un peu obscure, et que le lien avec la permaculture n’est pas toujours bien compris, on a pris quelques minutes, confortablement installés dans le salon d’Antoine, pour vous en parler.

Si vous souhaitez vous lancer dans la réalisation de votre design de vie, n’hésitez pas à vous appuyer sur ce petit guide (le document dont nous parlons dans la vidéo), extrait de la formation en ligne, qui présente les principales étapes. Vous pouvez aussi consulter notre blog, et vous inscrire à notre groupe Facebook dédié au sujet.

-> Je veux m’inscrire à la conférence interactive du 13 janvier 2022

-> Je veux en savoir + sur le cours en ligne « Piloter sa vie et ses projets avec la permaculture humaine » et l’offre spéciale de début d’année (valable jusqu’au 23 janvier à minuit).